L’ Exil renverséQui sont les autres ?
C’est la question que pose mounir fatmi aux passants dans sa vidéo Le dernier arrivé est étranger. Comme en écho de cette même interpellation de l’écrivain Mohammed Dib à quelques philosophes français, dont Jacques Derrida, en une époque où il n’existait pas encore de « jungle » à Calais. On ne remarque pas l’absence d’un inconnu écrit Philippe Cazal. Il n’y a pas d’autres. Car nous sommes tous les autres des uns et des autres. C’est ce que ne comprendront jamais ces Nations dont Jean-Baptiste Audat met en scène le sommeil repu. Les seuls drapeaux supportables ? Ceux, mutants, sur lesquels se tiennent les personnages mis en scène par ORLAN dans ASILE–EXIL. Ou pourquoi pas l’étendard de la Refugee Nation, version contemporaine du drapeau pirate, pour que nos exils d’aliénés deviennent des voyages explosant nos frontières mentales et physiques, de l’intérieur et de l’extérieur. Rions, avec le groupe UNTEL, des touristes, en chemise, qui se croient partout chez eux alors que leurs yeux ne perçoivent que le vernis du monde. Guy Limone, créant sur son fil une brochette colorée de petits soldats migrants, ou Pierre Desfons, transformant un tapis de souris d’ordinateur en tapis de prière face au soleil noir du désastre extrême de Daech, renversent eux aussi la notion d’exil. Chacun selon les ombres et lumières de leur histoire, donc de leurs oeuvres, les artistes du Pavillon de l’Exil réinventent leur propre exil, critique, décalé ou jubilatoire, contre cet exil que cherchent à nous imposer ces pouvoirs qui torturent, expatrient, assoiffent, exploitent ou décervèlent.
L’ école de l’Exil
Dans ladite Jungle de Calais, des habitats précaires comme on appelle ces tentes et ces cabanons, mais surtout des auberges, des églises et des mosquées, des infirmeries, un théâtre et des écoles se sont construits sur du sable. Afghans, Soudanais, Éthiopiens, Iraniens, Syriens, Égyptiens et autres migrants d’Afrique et de partout y ont sué et dansé dans le vent, avec des bénévoles d’Europe et d’ailleurs. Entre janvier et novembre 2016, les photographes Anita Pouchard Serra, Laurent Malone et André Mérian ont été bien plus que les témoins d’un désir, d’une joie de vivre ici et maintenant, puis d’une destruction par le crétinisme politique de ce « rêve » de ville internationale. La photo du panneau arraché de « l’école laïque Chemin des Dunes » symbolise ce carnage. Elle contraste avec la beauté de l’histoire de cette même école, que racontent Zimako et Marko dans le machinima d’Isabelle Arvers, Heroic Makers vs Heroic Land, réalisé par avec le moteur de jeu Moviestorm à partir de photos et d’interviews. Y a-t-il une école de l’exil ? Plutôt de multiples écoles, la plupart du temps métaphoriques... Où se découvrent de magnifiques personnages, comme ces « rejetés » d’un camp de Tunisie, filmés par Sophie Bachelier et Djibril Dialo... Où l’on apprend à vivre dans un Entresol, comme Younes Baba-Ali entre Marseille et Tanger. Où nous pouvons nous aussi, grâce à une autre pièce son- ore, signée Anna Raimondo & Younes Baba-Ali, expérimenter dans le noir un exil intérieur « pour se perdre et peut-être se trouver ».
L’Exil transfiguré
Jusqu’où réinventer la notion d’exil ? Ces pieds de l’artiste mexicaine Beatriz Canfield sont-ils les extrémités nues de migrants anonymes, pendus haut et court ? Ou sont-ils à l’inverse des jambes en apesanteur, transfigurant l’exil en montant vers le ciel ? Y a-t-il exil plus absolu que celui de l’astronaute dans le vide sidéral ? Télescope intérieur a été la première sculpture jamais créée dans une station spatiale. Eduardo Kac a permis à Thomas Pesquet de la construire dans l’espace, avec papier et ciseaux, selon une procédure longuement testée sur Terre. Autre inconcevable métaphore de l’exil: l’installation de Fabien Zocco juxtapose le nom d’une étoile, comme Aldebaran, Proxima ou Vega, avec la photo d’un lieu portant le même patronyme sur Google Street View. Le rêve d’un exil dans d’autres galaxies se termine dans un minable lieu-dit sur notre planète. À moins que ce territoire médiocre ne nous fasse rêver d’étoiles ? Ce que nous disent ces artistes, comme les migrants de Calais, c’est l’urgence à transfigurer, à rêver l’exil hors des clichés et carcans imposés par les pouvoirs.
Proposé par mounir fatmi et Ariel Kyrou